FONDATION BLAISE PASCAL : DÉJÀ 166 PROJETS POUR DONNER L’ENVIE DES MATHÉMATIQUES ET DE L’INFORMATIQUE

Interview parue dans la lettre de l’anrT n°11 juillet-août 2019

Faire aimer les mathématiques et l’informatique, c’est le défi relevé par la Fondation Blaise Pascal en 2016. Créée par le CNRS et l’université de Lyon, elle compte à ce jour 300 acteurs de médiation, 166 projets et plus d’un million de personnes sensibilisées. Sa déléguée générale, Isabelle Guérin-Lassous, nous présente ses activités. Elle transmet le relais à Stéphane Gaussent son successeur à partir du 1er juillet.

ANRT : La Fondation Blaise Pascal soutient la médiation scientifique en mathématiques et en informatique. Qu’entend-on par « médiation scientifique » ?
Isabelle Guérin-Lassous, Fondation Blaise Pascal : L’expression est souvent utilisée dans un sens restreint de « vulgarisation » ou de « diffusion ». Notre vision est plus large. Nous voulons améliorer la perception de ces sciences par le grand public, et notamment permettre aux jeunes de s’exprimer sur ces questions. Le savoir doit être accessible à tout public, et la Fondation met un accent tout particulier sur les populations défavorisées ou isolées et sur les jeunes femmes.

ANRT : Quels types d’action mène la Fondation pour rapprocher le public de ces sciences ?
I.G-L. : Notre intervention se décline en trois volets principaux. Nous finançons des activités de médiation scientifique via des appels à projets et assurons la promotion des projets retenus. Nous accompagnons les acteurs de médiation dans la recherche de matériel ou de compétences. C’est le premier type d’action. Dans le deuxième volet, nous travaillons à structurer et à fédérer notre réseau qui compte aujourd’hui près de 300 « médiateurs », répartis dans toute la France. Pour cela nous avons mis en place une base de données et une cartographie qui permettent de savoir ce qui se pratique dans les différentes régions. Et enfin, le troisième volet est consacré à la recherche de financements, non seulement de fonds publics mais aussi de fonds privés, par le biais du mécénat.

ANRT : Pouvez-vous nous en dire pIus sur la mise en œuvre des appels à projets ?
I.G-L. : Nous avons lancé six appels à projets depuis notre création. Les bénéficiaires sont les acteurs de la médiation. Les projets peuvent cibler un public particulier comme les jeunes femmes ou des thématiques scientifiques précises. Le conseil scientifique de la Fondation, constitué essentiellement de chercheurs, d’enseignants-chercheurs, et d’enseignants du secondaire évalue les propositions. La présence des sciences dans les projets est un critère déterminant : la Fondation ne finance pas l’apprentissage des outils numériques, mais uniquement les sciences sous-jacentes. Les évaluateurs sont très attentifs également aux caractéristiques du public visé, notamment à la parité, ainsi qu’à la qualité scientifique des projets. A ce jour, la Fondation a alloué un montant total de 825 000 euros à 166 projets.

ANRT : Ces appels permettent-ils de découvrir des approches de médiation très innovantes ?
I.G-L. : Nous avons vu passer des propositions vraiment originales. Je pense au projet Galejade qui s’adresse aux classes primaires et fait appel à l’informatique dite « débranchée ». On y décrypte des concepts informatiques sans recours à l’ordinateur. En l’occurrence, des objets simples tels que des cerceaux et des cordes servent à représenter le fonctionnement du routage des messages sur internet. Les élèves jouent le rôle d’un paquet IP et doivent s’orienter dans le réseau. N’importe quel enseignant peut reproduire ce schéma dans sa classe.
Un autre projet, baptisé Louis 14.0, consiste à montrer comment la simulation numérique donc les mathématiques et l’informatique, peuvent recréer les sons d’instruments de musique endommagés par le temps ou disparus. Lors de représentations d’une heure, on présente l’instrument, puis la modélisation des sons grâce aux mathématiques et pour finir la simulation informatique. La séance se termine par un concert. Ce projet, en tournée en région Nouvelle Aquitaine, implique des chercheurs et des musiciens. Inria est impliqué dans ces deux projets.

ANRT : Des entités publiques, en l’occurrence le CNRS, l’université de Lyon et Inria contribuent à la Fondation depuis sa création en 2016. Quels sont les liens du côté privé, avec les entreprises ?
I.G-L. : Nous sommes au tout début de l’établissement de ces liens. Initialement nous cherchions à lever des fonds et les entreprises contribuent à nous financer par le biais du mécénat. Sont engagés actuellement à nos côtés la Fondation Michelin, Sopra Steria, APL spécialiste des data centers, Automation Anywhere, spécialisée dans la robotisation, la start-up suisse Tezos et enfin Alstom dont le partenariat est en train de se mettre en place. Mais la Fondation commence aussi à être identifiée pour sa capacité à impulser des actions de médiation sur des sujets précis. Par exemple Tezos nous a sollicités sur les crypto-monnaies. Et à la demande de Sopra Steria, nous avons lancé un cercle de réflexion sur la place des femmes en informatique, car l’entreprise connaît des difficultés de recrutement de collaboratrices féminines.

ANRT : La Fondation a intégré la communauté des membres de l’ANRT. Qu’est-ce qui l’a amenée à nous rejoindre ?
I.G-L. : Nous sommes toujours à l’affût de nouveaux contacts, c’est notre état d’esprit. Et naturellement prêts à accueillir de nouveaux fondateurs, autant du côté des établissements de l’enseignement supérieur, que des entreprises, des collectivités ou d’autres organismes d’État. Nous scrutons également avec attention la veille que vous proposez, sur les appels à projets et sur les thématiques. Car nous pouvons nous aussi répondre à des appels, aussi bien nationaux qu’européens. Et pour finir, nous souhaitons offrir plus de visibilité à la Fondation Blaise Pascal dans votre écosystème.

ANRT : Une dernière question, plus personnelle. Vous quittez la direction de la Fondation le 1er juillet. Que vous a apporté cette expérience ?
I.G-L. : Le travail mené à la Fondation depuis septembre 2016 a été très riche. Il a fallu la mettre en place, définir son identité et ses périmètres d’action, réaliser le soutien aux acteurs de médiation et s’investir pleinement sur la levée de fonds. La médiation scientifique est un domaine extrêmement dynamique, qu’il importe de soutenir, à une époque où les sciences sont fortement remises en question.

POUR APPROFONDIR

« Les mathématiques sont dans la vraie vie »

ANRT : Comprenez-vous les raisons du désamour français pour les sciences mathématiques ?

Isabelle Guérin-Lassous, Fondation Blaise Pascal : Je ne vois pas d’explication simple. Je pense qu’on peut parler d’une fracture dans la société. Une frange de la population est attirée par les mathématiques et par ailleurs, nombre de nos concitoyens considèrent que cette matière « n’est pas pour eux ». Peut-être la perçoivent-ils comme un instrument de sélection, et non comme un outil d’explication des phénomènes. Alors que souvent c’est la « vraie vie » qui a amené les mathématiciens à concevoir ces outils. Peut-être l’enseignement décorrèle-t-il trop les mathématiques de la « vraie vie ».

Isabelle Guérin-Lassous, déléguée générale

de la Fondation Blaise Pascal (de septembre 2016 à juin 2019)

ANRT : Faites-vous le même bilan pour l’informatique ?

I. G-L. : Je constate que les jeunes en ont souvent une vision utilisatrice et ne la perçoivent pas comme une science. L’informatique, ce ne sont pas juste des outils qu’on utilise mais aussi des outils que l’on conçoit. Ils n’ont pas conscience qu’il existe des formations scientifiques en informatique, qui plus est porteuses de débouchés. Nous devons travailler ce point, aussi bien au niveau des jeunes que des parents. Plus inquiétant, en mathématiques comme en informatique, on voit moins de jeunes femmes que d’hommes. Et la proportion de jeunes femmes diminue régulièrement. Les chiffres étaient meilleurs il y a 20 ans.

ANRT : A-t-on mesuré l’impact du manque de compétences dans ces disciplines sur les entreprises, les collectivités, l’économie et la société en général ?

I.G-L. : L’impact reste difficile à mesurer. En 2015, le cabinet de conseil CMI* a publié une étude qui indiquait que 15 % du PIB en France étaient directement liés à la valeur ajoutée créée par les mathématiques. Quant à l’informatique, les études ne s’accordent pas, mais je pense que l’on manquera de plusieurs dizaines de milliers d’informaticiens en France d’ici 2020. Il se crée plus d’emplois dans ce secteur qu’on ne trouve de jeunes formés sur le marché.

Etude de l’impact socio-économique des mathématiques en France, FMJH, FSMP, AMIES, CMI, mai 2015

La fondation Blaise Pascal en chiffres (2016-2019)

6 appels à projets organisés dont 1 en cours,

825 000 euros alloués,

166 projets soutenus sur l’ensemble du territoire national,
– 86 structures soutenues dans 13 régions,
– 88 projets en mathématiques, 45 en informatique et 33 en mathématiques/informatique,
– dont 11 stages, 5 écoles d’été et 34 clubs soutenus,
– dont 17 projets en direction des filles,

Plus de 300 acteurs de médiation identifiés,

Plus d’1 million de personnes ont bénéficié des actions que nous soutenons :
– environ 1 535 000 élèves des classes primaires à la terminale,
– environ 60 000 adultes,

Plus de 700 enseignants et enseignants-chercheurs.

Propos recueillis par Carole Miranda et Martine Lux